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L'INFLUENCE DE LA PERSONNE HANDICAPÉE DANS LE DEVELOPPEMENT DE SA FAMILLE OU LE DESTIN APPRIVOISÉ

Mon intervention, basée sur la famille, reflète non seulement mon témoignage en tant que personne handicapée, mais également celui de mes parents, celui de mon épouse, même parfois ceux de mes enfants.

Je suis né à terme le 28 novembre 1961, et mon père relate l’accouchement de la façon suivante : «moi, quand Pierre est né, j’ai le souvenir d’avoir été groggy, de sentir le sol se dérober sous mes pieds, de basculer dans le vide, de n’être plus de ce monde. Pendant quelques jours, j’ai souhaité qu’il ne vive plus. Supposons que le diagnostic anténatal du handicap ait été fait par l’échographie, je crois que nous aurions penché pour l’I.V.G.»

La naissance de l’enfant handicapé est une épreuve (au sens strict) pour le couple de parents.

L’attitude de la famille peut être le rejet, dans lequel s’assimile la sur-protection (qui amortie exagérément les pressions extérieures, interrompt systématiquement toutes les initiatives de l’enfant), le repli et l’isolement, la négation du handicap.

La famille peut, en revanche, se sublimer après le processus de deuil, en réanimant l’énergie perdue dans les larmes et les plaintes vers un objectif altruiste :

  • sur un plan conjugal, cimenter le couple dans le projet éducatif de l’enfant,
  • sur le plan collectif, pour mes parents, témoigner par des conférences et un livre, créer et développer Dysmélia (association belge), qui associe depuis presque 40 ans plus de 150 familles confrontées à la malformation des membres ; notre association d’entraide reste avant tout un lieu d’échanges, ouvert à l’accueil de nouvelles familles.

Mes parents n’ont pas ménagé leurs efforts pour développer le maximum des possibilités d’épanouissement que j’avais.

Dès l’enfance, je n’ai jamais douté qu’il fallait réussir. Mais réussir sa vie, qu’est-ce que cela signifie ?

A 20 ans, j’ai épousé Martine, qui est valide mais connaissait la problématique du handicap puisque deux de ses sœurs sont porteuses de dysmélie. A 24 ans, j’étais licencié en Droit et exerce depuis lors la profession d’avocat. Nous sommes les parents de quatre enfants âgés de 13 à 4 ans.

Une parfaite acceptation de soi passe par la prise de conscience de ses limites, sans vouloir se cacher ou en avoir honte. Même si cela n’est pas facile, il faut pouvoir s’exposer, demander de l’aide si nécessaire, aller vers les autres. Cette prise de conscience des limites de l’être humain comme tel, a certainement orienté ma vie plus que mon handicap lui-même.

L’expérience de ma famille et celle de mon épouse, mon éducation, nous ont permis de réaliser un acte qui peut paraître incompréhensible selon les canons habituels du bonheur et de la réussite, mais dont nous ne sommes pas peu fiers. En 1992, nous avons fait le choix d’adopter un enfant porteur de dysmélie.

Comme je l’expliquais au baptême de Muriel à un entourage assez désorienté :

«Pour mon épouse, le fait d’avoir grandi auprès de sœurs handicapées, d’avoir épousé un handicapé, n’a pas été un cloisonnement, un repli sur soi, cela lui a permis au contraire, de s’ouvrir sur le monde avec un regard plus riche et plus nuancé, forte d’un savoir acquis dans sa jeunesse.

Pour moi, cette décision d’adopter un enfant dysmélique concrétisait les valeurs et les discours un peu théoriques sur le bonheur et le sens de la vie auquel nous adhérons : ce qui compte, c’est d’être heureux, c’est de pouvoir créer, le bonheur n’est pas une question d’avoir, avoir des bras, avoir de l’argent, ou tous les biens que notre société de consommation nous fait désirer. Le handicap, comme toutes nos faiblesses et nos imperfections, peut servir de catalyseur pour mettre les valeurs dans le bon ordre et nous faire prendre conscience de nos limites.

Pour être heureux, ce qui compte c’est d’être aimé, reconnu tel que l’on est, afin de pouvoir s’assumer avec ses défauts et ses qualités, forts de cette reconnaissance, on peut alors créer, c’est-à-dire œuvrer pour laisser quelques traces positives de notre passage sur terre, c’est ce que nous essayons de faire, Martine et moi, dans l’exercice de notre profession, dans notre rôle de parents et de responsables de l’association Dysmélia.»

Cette décision a également émergé, d’une certaine manière, grâce à une épreuve que notre couple a rencontré, celle de la naissance et de l’évolution de Delphine depuis 1987. Son caractère instable et colérique était à l’opposé du calme et de la patience de notre aîné Yves. Ce n’est que plusieurs mois après l’adoption de Muriel que nous avons mesuré la gravité des troubles d’apprentissage de Delphine (qui est hyperkinétique et ne peut ni lire ni compter à l’âge de 12 ans), mais cette idée que l’enfant n’est jamais le prolongement de soi, de ses fantasmes, mais un être unique et différent, pari de l’amour est le germe qui nous a permis de donner un sens à notre vie.

L’être humain, à la différence des autres espèces, est unique parce qu’il sait qu’il va mourir. La déficience d’une personne handicapée est ce qui incarne le plus en elle son humanité. Notre richesse d’homme, c’est de pouvoir sublimer cette déficience en lui donnant un sens sur le plan individuel, familial et elle devrait également rechercher les vrais valeurs, c’est-à-dire celles qui nous permettent de dépasser notre finitude, celles qui nous permettent de créer. C’est quelque part par là que doit se trouver le bonheur.

Après avoir exercé la profession d’avocat durant 15 ans, notre famille a déménagé «au soleil» près de GRASSE et nous nous sommes orientés dans le tourisme. Nous hébergeons des hôtes et, forts de notre vécu, nous sommes particulièrement attentifs à l’accueil des personnes à mobilité réduite du fait d’un handicap ou de nombreux enfants.

 

Pierre MARCOUX

www.hotegenty.com